Présentation

Mon histoire d’autiste commence si je puis dire à l’âge adulte et à travers une démarche professionnelle (projet de formation non-réalisé à ce jour sur l’adulte précoce et ses difficultés).

Ma démarche était à ce moment-là de découvrir ce que proposait un professionnel de ma région à l’adulte HP, dans le cadre de tests de QI en me posant comme cobaye (sachant déjà à l’époque depuis l’enfance que j’étais précoce). Il s’agissait de répondre à quelques questions du genre : une fois les tests effectués, qu’est-ce qu’on en fait et comment convertir cela en quelque chose d’utile ? Comment améliorer ce qu’il y a à améliorer dans les différents domaines de vie ?…

Je consulte donc une psy pour des tests de QI. Les dits-tests se passent bien, la professionnelle est compétente et souriante. Je ressens par contre des bugs à certains moments, certaines questions dont je connais la réponse et auxquelles… je ne réponds pas (?!?!). Une forte résistance inconsciente donc, quelque chose de très têtu qui se manifeste également dès qu’il y a une pression temporelle dans la réflexion. Avec le recul, le point commun de ces blocages est certainement un sentiment d’intrusion, dans ma vie, mon territoire ou ma temporalité. Ces phénomènes me font marrer (je dis à la psy que je suis désolé mais que «manifestement je ne veux pas répondre »). Cela stimule ma curiosité également mais je ne m’arrête pas plus que ça sur ces curieuses manifestations, ayant pris depuis longtemps l’habitude de m’accepter tel que je suis et pensant en général que tout ce qui existe en nous a une bonne raison d’être.

Les tests révèlent un haut potentiel (150 par exemple, en terme de compréhension), ce qui ne constituait pas une nouvelle info pour moi ou le centre de mon intérêt. Une fois les résultats obtenus et dans l’optique de continuer la démarche, la psychologue me propose en fin de séance/bilan du test de noter les situations qui me dérangent d’ici le prochain RDV et termine par quelque chose du genre : « Et la prochaine fois, on parlera d’autisme… ».

Vivant certainement la meilleure période de ma vie personnelle et étant pris par des obligations familiales conséquentes, je diffère le RDV suivant. Néanmoins, mes fonctionnements pendant le test, la tâche prescrite et la réflexion de la psychologue à propos d’autisme me trottent parfois dans la tête, consciemment et inconsciemment.

Quelques mois plus tard au gré de ma navigation internet, je tombe sur des sites traitant de l’autisme et proposant des tests. Le premier effectué me propose un score d’Asperger de 114 et de neuro-typique (non-autistique) de 86. Un second test me propose des résultats à peu près équivalents. J’en déduis donc que suis un HP avec quelques traits autistiques, ce qui je crois doit être relativement fréquent. 

Pour faire une parenthèse, je tiens à préciser que les sujets de la précocité et de l’autisme sont les deux seuls thèmes psychologiques sur lesquels je me sens proprement incapable de produire quoi que ce soit à ce moment.

Donc je n’y connais rien et m’ « auto-diagnostique » HP avec quelques traits autistiques. Au détour des tests je vais vivre ce qu’on peut appeler un choc : un questionnaire propose plusieurs réponses suivant la période de la vie (adulte ou avant 16 ans). Je me rends compte que si je réponds aux questions en fonction de mon vécu d’enfant et d’adolescent, je n’ai plus simplement des traits autistiques, je suis autiste (ou alors je l’ai été, ce qui à mon avis est impossible, on est autiste ou pas me semble-t-il.).

Je vis alors 24 heures de « mise à jour ». C’est une habitude chez moi dans les moments importants qui se manifeste par la tête qui chauffe ce qui est très bizarre à vivre physiquement. Mon cerveau bouillonne également, recalcule je ne sais quoi (trop rapide et/ou complexe pour être saisi consciemment), ceci accompagné d’un mélange de confusion et de fatigue sur la fin. Coutumier du fait, je ne m’alarme pas, sachant que la confusion est la seule étape commune à tout processus d’évolution ou de changement et qu’elle mène à une quête de sens intense et à une réorganisation utile (ou du moins je l’espère).

En terme de réorganisation je ne suis pas déçu :

  • Je comprends mieux des choses que j’avais du mal à expliquer. C’est dérangeant dans un premier temps car allant plutôt vers des fonctionnements qui ont peu de rapport avec les « neuro-typiques ».
  • J’ai le sentiment aussi assez idiot de m’auto-démasquer : c’est certes satisfaisant de se connaître mieux mais en même temps mon « faux self » me convenait assez bien ou du moins il m’était familier. Bien que me présumant innocent, je me fais l’effet d’être un faussaire en plus de voir s’éloigner définitivement le fantasme de la normalité.

Pour donner quelques exemples et dans le désordre je comprends mieux : 

  • Pourquoi on me trouve fréquemment un style humoristique (jusqu’à vouloir m’engager pour un stand-up) alors que je ne fais que décrire mes fonctionnements. En règle générale, professionnellement ou personnellement, si je désire amuser, c’est assez simple en fait : il me suffit d’aborder une réalité et de décrire ce que je vis en l’abordant, sous la forme par exemple d’une anecdote. En fait ma vie est un sketch. D’une certaine manière, les gens ont l’impression que je suis drôle alors qu’ils sont simplement en train de se foutre de moi. 
  • Pourquoi de la même manière on me trouve créatif, métaphorique et optionnel, alors que je me vis et me trouve littéral et protocolaire. Dans mon esprit, la créativité dans le cadre d’une interaction fait partie du protocole.
  • Pourquoi je trimballe une image de facilité depuis toujours voire de fainéantise ou parfois lymphatisme (phénomènes surement dus à la précocité, pertinence, esprit de synthèse, rapidité…) alors que j’ai eu l’impression de ramer comme un forçat pendant les 25 premières années de ma vie (ceci étant surement du à l’autisme). Répondre à la demande est facile, s’y adapter au préalable relève plutôt de la fin de vie de Jean Valjean (fatigué et bagnard).
  • Pourquoi je peux faire seul toutes sortes de choses en même temps (précoce) et devenir désespérément mono-tâche et sacrément empoté voire handicapé mental et moteur si je suis pris dans une interaction sociale et sollicité par ailleurs (autiste).
  • Pourquoi je vis si mal l’intrusion, le non-respect des règles relationnelles que je pose pourtant clairement et pédagogiquement, sans succès.
  • Pourquoi la distanciation à 1m50 due au covid ne me pose aucun problème. Je me rends compte que cela fait 50 ans que j’ai un constant contrôle en 3D de la distance territoriale de sécurité qui me sépare des humains adultes que je ne connais pas (devant, derrière, à gauche, à droite, en diagonale, au-dessus, en-dessous…).
  • Pourquoi j’ai toujours eu une forme d’indulgence pour ma grand-mère, perçue comme rigide, toquée, froide et en même temps attentionnée, ayant passé sa vie à aligner les chiffres, les fiches, les cartes… 

Donc, pendant 24 heures, je traverse une tempête sous mon crâne. Je me colle ensuite des étiquettes, en décolle, bouquine un peu sur le sujet, demande à une collègue de m’expliquer l’autisme. J’observe mes réactions dans certaines situations, je me fais marrer, ce qui en soit constitue déjà un plus.

Tout cela pour en arriver (comme on peut en arriver toujours) au principe d’utilisation de milton H. Erickson (psychiatre américain) : « utiliser l’excellence du corps et de l’esprit pour s’aider eux-mêmes ». Autrement dit « faire avec ce que l’on a » ou bien « tout est bon dans le cochon ». 

Précocité, autisme, … tout cela est compliqué, je m’arrête à un moment sur le terme « atypique ». je l’imagine avec un « k » à la fin, ça fait exotique. Il me convient et déjà je m’en félicite, je ne sais pas vraiment ce que je vais en faire d’utile, d’agissant mais je me fais confiance. Je félicite Jean Valjean pour ses efforts passés jusque-là inaperçus, reconnaissance légitime, je suis fatigué pour lui et je souris, curieux de ces nouvelles possibilités qui s’offrent à moi… .